Pourquoi achète-t-on ou pourquoi n’achetons-nous pas ? C’est la quête du Saint Graal en marketing. De nombreuses théories se succèdent depuis 50 ans, mais l’une d’entre elles demeure plutôt fascinante : celle où l’on utilise la métaphore de la foi religieuse pour expliquer le comportement du consommateur. Voici donc une présentation de ce courant théorique décliné en deux grandes révélations suivies d’exemples concrets qui expliquent la liaison entre le divin et le portefeuille.
Première grande révélation : la plupart des clients qui vous quittent étaient pourtant satisfaits !
À la fin des années 90, la théorie marketing était encore ancrée dans un paradigme où le consommateur était un homo œconomicus plutôt rationnel et que celui-ci répétait des gestes (étant fidèles à des marques) parce qu’il estimait que c’était la meilleure décision pour lui. C’est la fidélité comportementale. On conçoit le consommateur comme un individu qui tente de faire des choix rationnels à partir de son évaluation quoiqu’imparfaite des produits qui lui sont offerts. Or, dans les faits, les données ne donnent pas raison à cette approche « classique » du comportement du consommateur. Des clients prennent des décisions financières importantes sans considérer les autres options et le plus grand dogme du marketing tombe : celui qui croyait qu’un client satisfait allait demeurer fidèle. FIDÈLE…
C’est là où intervient la théologie. Des chercheurs sud-africains en théologie s’intéressaient à un phénomène très intéressant : celui de gens pourtant très pieux et très dédiés à une religion et qui, défiant toute logique, changeaient de religion ! Leur première conclusion étant que la fidélité comportementale passée était un mauvais prédicateur de la fidélité comportementale future. Ce que les gens font n’explique pas ce qu’ils feront. Le marketeur tombe en bas de sa chaise! Pour ces chercheurs, il vaut plutôt comprendre ce qui rend les gens croyants plutôt que de comprendre comment ils vivent leur religion. Ces recherches ont d’ailleurs démontré que ceux qui étaient les plus portés à changer de religion sont ceux qui étaient pourtant les plus dévoués à une autre religion avant. En marketing, cette théorie a donné lieu à une approche qui est encore très populaire qui se nomme le « conversion model », où l’on tente de mesurer les individus qui sont les plus susceptibles de nous quitter pour une autre marque.
Donc, leçon numéro un que la théologie enseigne au marketing : le comportement passé est un mauvais prédicateur du comportement à venir. Imaginez en politique… certains n’auraient jamais voté pour le NPD en 2011, mais ils auraient certainement voté pour le NPD en 2015.
Deuxième grande révélation : La grande majorité de nos décisions comme consommateur ne sont pas rationnelles et sont prises inconsciemment !
Cette révélation, nous la devons en grande partie à un ouvrage de Martin Lindstrom en 2006 et dont le titre est « buyologym », un joli jeu de mots en anglais entre « buy » (acheter) et biologie. M. Lindstrom est un peu le père de l’approche des neurosciences appliquées au marketing. Le point de départ : comment les consommateurs prennent-ils leurs décisions d’acheter ou non et comment se fait-il que ceux-ci prennent tant de décisions qui sont pourtant irrationnelles ? L’exemple cité dans le livre tente d’expliquer comment les avertissements pourtant assez graphiques sur les paquets de cigarettes donnent, dans les faits, le goût de fumer aux fumeurs ou pourquoi nous voulons absolument dépenser des sous que nous n’avons pas pour acheter le tout dernier iPhone alors que celui que nous avons fonctionne encore très bien…
À partir de milliers d’expériences où des candidats ont dû visionner des publicités et des stimuli marketing tout en étant branchés à des électrodes, M. Lindstrom affirme que c’est la faute du nucleus accumbens (ou noyau accumbens), ce petit endroit du cerveau qui joue un rôle important dans le système de récompense et l’assuétude (accoutumance, dépendance), le rire, le plaisir, la peur et l’effet placebo. Or, c’est aussi l’endroit du cerveau le plus actif lorsque l’on présente des symboles liés à la religion. Le noyau accumbens est aussi le centre de la foi ! Ce désir de croire ou d’adhérer à quelque chose qui nous dépasse et qui n’a rien de rationnel serait envisageable autant pour la foi religieuse que pour notre choix de véhicule automobile, de notre parfum ou de notre tenue de yoga. Les religions sont faites de symboles et de rituels … et les marques aussi. La grande conclusion de M. Lindstrom ? Les marques qui veulent gagner doivent fonder leurs stratégies sur les 10 caractéristiques qu’ont en commun les grandes religions :
• Misent sur l’appartenance au groupe, une forme d’attachement;
• Promettent une vision claire et définie qui donne un sens à la vie;
• Donnent plus de pouvoir par la présence d’ennemis (il y a l’autre);
• Ont des références sensorielles (chants, images, iconographie);
• Doivent donner un sens à l’histoire;
• Ont une forme de grandeur, d’élévation;
• Ont une forme d’évangélisme;
• Laissent place au mystère;
• Ont des symboles forts;
• Ont des rituels.
Lorsqu’on voit un symbole ou une manifestation de sa foi, instantanément et inconsciemment, tous les autres éléments mentionnés sont automatiquement évoqués … et renforcent cette même foi ! Chers marketeurs, à vous de faire de même. Expérimenter la marque doit provoquer la même réaction dans votre inconscient que d’avoir une expérience religieuse ou charismatique.
Des exemples concrets :
• Coke et la forme de sa bouteille et la couleur rouge.
• Harley Davidson. La seule présence du logo suggère un style de vie, une sous-culture, une idéologie, un idéal de liberté avec tous les codes qui y sont reliés. On n’achète pas une Harley : on devient membre de la famille Harley.
• Apple. Dites à un « disciple » d’Apple près de vous que les iPhone, c’est de la « shnout » et appréciez l’émotivité de sa réponse immédiate… Toutefois, au bout de quelques secondes, il n’aura pas vraiment d’argument pour justifier sa défense. Il est croyant ! Regardez comment nous avons déifié Steve Jobs… avec raison ?
• Lolë et la création de la tournée en blanc. On porte du blanc ! On s’approprie un rituel, partagé avec nos amis « disciples », on s’approprie une couleur… tout ce que font les religions.
• Red Bull. Cette marque ne nous parle jamais de son produit, de ses qualités, de son goût. On nous vend un « lifestyle ». La marque s’associe à des rituels (musique, sports extrêmes et autres) en les couvrant de ses couleurs et de ses symboles.
Les marques qui gagnent aujourd’hui et qui gagneront demain seront celles qui vont nous permettre de donner un sens à notre vie en les adoptant. On ne veut plus simplement acheter… on veut adhérer.